Les (petites) maisons de parfums, indépendantes et alternatives, réinventent le luxe olfactif, avec un engagement envers la créativité et la qualité. Qui sont ces nouveaux labels de niche qui redéfinissent la singularité?
D’où peut bien venir le plaisir fiévreux que procure le parfum? Des sublimes ingrédients naturels, de l’harmonie parfaite, la pure équation de parfumerie, et de l’immense qualité de la formule. Une nouvelle garde tricolore renouvelle le genre et se développe sur l’hypersegmentation du marché, à grands coups de pschitt. Au commencement, Initio, le bien nommé, revient à l’essence du parfum dans sa fonction originelle, magique et sacrée. En jouant sur le pouvoir des odeurs, qui magnétise inconsciemment nos comportements, voilà que sa nouvelle trilogie Hedonist (Musk Therapy, Rehab, Paragon) s’appuie sur la fréquence sonore 432 hertz qui apaise le mental et transmet des énergies bienfaisantes à toutes les cellules du corps.
Autre vague d’émotions chez Maison Crivelli, qui se compose comme un carnet d’expériences olfactives, faisant appel aux sensations et au ressenti. Le fondateur, Thibaud Crivelli, met l’accent sur l’art de l’inattendu en utilisant des contrastes et des textures dans des flacons d’une simplicité élégante, allant même jusqu’à captiver les clients sur les lieux de vente grâce à des mouillettes révélant des macro-motifs dès qu’ils entrent en contact avec la fragrance.
Dans le narratif, BDK, fondé par David Benedek, excelle et révèle des fragrances qui ne sont pas seulement des parfums, mais des récits sensoriels, des réminiscences et des expressions de l’individualité. Le dernier opus, Vanille Leather, confié à l’imaginaire du parfumeur Dominique Ropion (IFF), met en lumière une vanille ronde aux accents légèrement épicés associée à un autre ingrédient très noble, le bois de chêne. Ode à la vanille également pour la maison de haute parfumerie Les Eaux Primordiales, qui dévoile son premier extrait de parfum, Vanille Supermassive. Le fondateur, Arnaud Poulain, s’est inspiré des abysses et des trous noirs supermassifs des galaxies pour créer un parfum qu’il qualifie de «puissant et magique».
Amateurs de jus rares, humez, vibrez, notez ces fragrances. C’est le minimalisme qui s’exprime, l’inspiration trouvant sa source dans la beauté brute de la matière et les gestes de ceux qui la transforment. En tête, Headspace capture l’insaisissable. Tel est le projet fou de cette marque, qui se base sur une technologie d’analyse introduite dans la parfumerie en 1970. L’objectif: reproduire une senteur in vivo à l’endroit même où elle se trouve et en reconstituer patiemment son parfum. Ainsi, chaque petite composition, gorgée d’ingrédients naturels en overdose, est enflaconnée dans des répliques grandeur nature qui évoquent la profusion de fioles ornant le bureau d’un parfumeur. Reste que la véritable initiation à l’art du parfum se dévoile à ceux qui osent plonger dans les arcanes de la pyramide olfactive, pourvu qu’ils comprennent que le chemin compte autant que le rêve que l’on s’en fait. Entre les notes éphémères en tête et les accords durables en fond se trouve le coeur. Et c’est précisément là que vient nous cueillir Voyages Imaginaires . Une aventure qui nous transporte dans les chimères du tandem Camille Goutal et Isabelle Doyen. Les deux femmes, liées par leur amour du parfum, opèrent un tour de passe-passe insensé en utilisant exclusivement des ingrédients naturels et de l’alcool de blé bio. Noble ou atypique, la matière est plus que jamais une signature.
Atelier Materi, maison de haute parfumerie française, la façonne et la dompte pour finalement la révéler. Outre l’écriture olfactive minimale et contemporaine, le contenant exprime lui aussi l’élégance du geste, l’obsession du détail. Pas étonnant que la niche suscite des vocations.
Avec Marie Jeanne, Georges Maubert se lance dans l’aventure de la création indépendante, perpétuant l’héritage familial de la société Robertet, leader mondial des matières premières naturelles. L’envie assumée de proposer des sillages au caractère affirmé, des bougies parfumées, mais aussi des brumes composées avec des huiles essentielles naturelles, sélectionnées pour leurs propriétés bienfaisantes sur le corps et l’esprit. Voilà tout ce que cela respire!
Art de la distinction ou snobisme olfactif, dans le monde de la parfumerie de niche, ce qui est rare n’est pas donné à tout le monde, mais il est offert à ceux qui cherchent à redéfinir leur propre essence à travers un flacon de parfum. Cette quête de l’exclusivité nous mène tout droit aux portes de la maison Henry Jacques, l’une des plus exclusives au monde. Dans son écrin parisien, avenue Montaigne, Anne-Lise Cremona cultive le luxe de la haute parfumerie fondée par son père, mais invite surtout à l’art du sur-mesure. Les esprits créatifs, curieux, voire passionnés, viennent y composer des jus rares et précieux autant que peuvent l’être les ingrédients et les flacons. Le parfum redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être, un délice d’initié…
Se pose alors la question des marques de luxe. Ont-elles observé de loin le changement de paradigme? Non, bien sûr. Des collections de haute parfumerie fleurissent tout en s’appuyant sur un patrimoine fort. En découle Les Exclusifs de Chanel, La Collection Privée Christian Dior, Hermessence pour Hermès et l’arrivée de Celine. Finalement, à trop vouloir se démocratiser, le luxe, n’aurait-il pas perdu de sa superbe? Tout porte à croire ici que son désir est de renouer avec l’essence même de sa définition : rare.
Stéphanie Laskar Reich
Photographie principale : Initio Parfums Privés
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