J’aime cette femme. Son physique, son dynamisme, son génie créatif, son nom d’héroïne. Est-ce vraiment le sien? Blanca, oui. Li, non. Elle l’a emprunté à son amoureux Etienne («le véritable Li») bien avant qu’il devienne son mari. Je l’aime et je l’admire. Depuis longtemps, en fait, sans le savoir. J’avais été époustouflée par son Bal de Paris, entraînée dans une fête costumée qui lui a valu le Lion de la meilleure expérience de réalité virtuelle à la Mostra de Venise. J’ignorais que c’était elle, aussi, qui avait chorégraphié l’inégalable clip Around the World, musique des Daft Punk, réalisation de Michel Gondry – dream team!– ; elle, encore, qui avait imaginé pour William Christie le ballet des Indes galantes de l’Opéra de Paris, dont un extrait me ravit en boucle depuis que j’ai interviewé Patricia Petibon pour PalaceScope. Ajoutez Paul et Stella McCartney, Beyoncé, Blur, Coldplay, Chanel, Cartier, Longchamp, Almodóvar… Danseuse, chorégraphe, réalisatrice, on aura plus vite dressé la liste de celles et ceux avec qui Blanca Li n’a pas travaillé.

©Lola Cortes
Et tandis que, dans l’obscurité du balcon, en cette avant-veille de première, je me régale des très cool répétitions de son Casse-Noisette hip-hop, j’entends derrière moi: «Je souis là!» Alors, d’un canapé du bar, à l’étage du Théâtre Libre, tous les «u» devenus «ou», et en riant «beaucoup, beaucoup, beaucoup», elle raconte: son enfance à Grenade dans une fratrie de sept où on faisait la fête en dansant, en chantant, à l’andalouse. La première fois qu’elle a vu un cours de danse, à travers une fenêtre. Ses débuts de gymnaste à 12ans dans l’équipe espagnole et son envie de faire autre chose que de travailler une année pour une démonstration d’une minute et demie. La bande de copains de son école à New York, à 17ans: des cinéastes, peintres, musiciens, stylistes, avec lesquels elle a appris à filmer, à monter, les lumières, les décors, la technique… Sa découverte du hip-hop, dans la rue, aussitôt devenu «un véritable partenaire, comme le flamenco». Elle raconte la danse, elle raconte son corps, son absence de complexes: «Quand on est danseur, on est bien dans notre corps, donc bien dans notre tête. La danse rend content, elle m’a toujours donné beaucoup d’énergie. Et même triste, ça m’est arrivé, pour évacuer, d’aller en boîte et de danser à fond, ou, un peu à plat le matin, de me mettre à danser et de finir, après huit heures de répét’, super en forme! J’aime jusqu’à la fatigue physique… Après, on dort tellement bien! (Elle rit.) C’est un choix risqué, un métier exigeant et ingrat, il faut t’entraîner sans relâche, parce que, si tu t’arrêtes, tu perds très vite, mais ça ne m’a jamais coûté. J’ai pris du plaisir chaque jour. Et je n’ai jamais eu vraiment mal, de moment où j’ai dû m’arrêter, ce qui est incroyable en quarante ans de carrière! Je pense que j’ai un corps un peu particulier qui m’a permis de traverser tous les âges!» (Elle rit, si franchement qu’on entend «ah ah ah!».). Elle ne danse plus sur scène.
Son dernier spectacle (un duo) interrompu par la pandémie, elle est partie sur d’autres créations: «Je n’ai pas décidé d’arrêter, ça m’est arrivé naturellement. Je pensais que ça allait me manquer mais je m’éclate autant! Quand je suis là, avec mes équipes fantastiques, avec ces danseurs merveilleux en train de réaliser mon rêve, je me répète: “Blanca, quelle chance tu as! Regarde, regarde!”» Créé à Suresnes, heureusement repris à Paris pour Noël, son Casse-Noisette remplace le réveillon familial classique par un dîner festif dans un appartement de jeunes, mais, quand la petite sœur va se coucher avec son cadeau (un casse-noisette), on retrouve la magie de Tchaïkovski, la Marche, la Danse chinoise, etc. «J’ai fait une sélection de tous les hits! »

©Lola Cortes
Pendant ce temps, le Bal de Paris tourne à Shanghai. Sans cesse, d’autres créateurs l’appellent: “Blanca, j’ai pensé à toi…” «J’adore ce partage, et, si le projet me plaît, je dis oui, oui, oui!» C’est ainsi qu’elle a mis en scène un défilé de Jean Paul Gaultier. «Un événement fou avec tous les mannequins, Boy George, Mylène Farmer, Catherine Ringer… inoubliable!», et la récente collection d’escarpins Louboutin, dans l’eau. Fan d’Esther Williams depuis toute petite, à la piscine Molitor, elle a monté une chorégraphie avec l’équipe olympique de natation synchronisée: «C’était super joli et tellement drôle! On s’est bien amusés…»
Enfin, depuis fin juin, elle préside la Grande Halle de la Villette: «Ma nouvelle aventure magnifique, qui m’excite beaucoup! On essaie d’imaginer comment donner encore plus d’éclat au lieu, provoquer des événements qui rendent les gens heureux!»
– « Et qu’est-ce qui manque à votre bonheur, à vous?»
Silence. Elle sourit, ouvre les mains :
– « Je ne sais pas.»
Sabine Euverte
«Casse-Noisette», au Théâtre Libre, jusqu’au 4 janvier 2025.