Il y a une quinzaine d’années, la découverte par une jeune Catalane, âgée d’à peine 13 ans, du chanteur Camarón de la Isla (qui a bousculé le monde feutré et conservateur du flamenco) va changer la vie de Rosalía Vila Tobella. Une adolescente espagnole fascinée par les arts, la musique et la célébrité, qui court les télé-crochets et étudie le flamenco, sans savoir encore que, quelques années plus tard, avec El mal querer, son deuxième album, sorti en 2018, elle va dépoussiérer le genre, lui donner un coup de jeune salutaire et rappeler au monde entier à quel point la langue espagnole est envoûtante ! Un chef-d’œuvre au succès autant critique que public, qui va imposer Rosalía, 30 ans cette année, en diva moderne de la trempe d’une Björk, d’une M.I.A. ou même d’une Madonna. Une chanteuse passée maître dans l’art de mélanger patrimoine classique et production dernier cri, de plonger dans les arcanes du passé pour mieux les projeter dans le futur et de mixer commercial et expérimental avec fluidité, pour notre plus grand bonheur.
Succès hors norme oblige, Rosalía n’avait pas le droit à l’erreur : Motomami (contraction de meuf et moto), son nouvel album, sur la pochette duquel elle apparaît juste vêtue d’un casque de moto, est le fruit de plus de deux ans de travail à Los Angeles. Deux années à approcher les producteurs – Frank Ocean, les Neptunes, Q-Tip, James Blake – les plus à même de créer ce que l’intéressée appelle des «sonorités jamais entendues». Autant El mas querer était renversant de beauté et d’intensité, autant Motomami vibre d’énergie et de l’envie irrépressible de danser. Quitte, pour cela, à aller puiser dans le reggaeton, le r’n’b, le hip-hop, la pop, le banger, la techno, la salsa… et bien évidemment le flamenco… à chanter aussi bien en anglais qu’en espagnol, à afficher sa passion pour la culture japonaise, sampler avec intelligence, ironiser sur les marques couture, aborder des sujets intimes (la sexualité, la féminité, l’estime de soi, la solitude), et à bien secouer le tout dans l’immense centrifugeuse pop et futuriste qu’est devenue l’Espagnole.
De La fama, irrésistible duo avec The Weeknd, à Bulerías, complainte à cœur ouvert, de Saoko, rythmé à se damner, à Como un G, tout en prouesses vocales, l’album et ses seize titres nous laisse sans voix, tout en dévoilant les deux facettes de Rosalía, celles d’une femme à la fois forte et fragile, expérimentale et populaire, facétieuse et surdouée. Avec l’impression d’assister à la mise en orbite d’une diva interplanétaire bien partie pour bousculer la pop musique comme jamais.
Patrick Thevenin
Photographie principale par Daniel Sannwald
Rosalía, «Motomami» (Columbia).
A lire aussi : Sofiane Pamart: le «Piano King»