Cécile Feilchenfeldt est une couturière pas comme les autres. Une artiste, chef d’entreprise, demandée par les plus grands couturiers pour ses créations hors du commun. Rencontre dans un petit café au bord de la ceinture verte, non loin de son atelier, un ancien hangar réhabilité, dans le XVe arrondissement de Paris.
Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Paris ?
J’ai grandi à Munich, j’ai par la suite fait des études de design textile à Zurich, avant de travailler dans le milieu du théâtre à Paris. Je savais que Paris était la meilleure capitale pour intégrer le monde de la mode. Toutes les personnes de ce milieu passent par Paris au moins deux fois dans l’année. Le salon Première Vision en 2012 m’a permis de me faire remarquer des grandes maisons. C’était un rêve pour moi de pouvoir créer pour ces personnes. Le grand prix de la création de la ville de Paris en 2019 pour les métiers d’art, catégorie talent confirmé, était comme un accueil très chaleureux de la ville.
Vos créations sont très originales. Où puisez-vous votre inspiration ?
La technique et la matière sont mes meilleures sources d’inspiration. J’aime également rencontrer des personnes de tout horizon, cela me stimule. Le fait de travailler avec de nombreux créateurs me permet de m’approprier leur histoire, à ma façon. La mode, ce n’est pas fait pour s’habiller, mais pour rêver. C’est un honneur pour moi de pouvoir habiller le rêve des autres.
Parlez-nous de votre incroyable machine à tricoter semi-automatique à 380 aiguilles…
Ma machine à tricoter semi-automatique permet de garder un côté plus artisanal qui me permet d’être plus créative. Je la connais par cœur, je peux la dompter comme je veux. Je suis technicienne de ma machine, je l’entretiens, la nettoie, la répare, l’améliore, j’ajoute des pièces, je communique avec elle. Une machine digitale m’obligerait à dépendre de serveurs, d’un technicien pour la programmer… C’est cette maîtrise qui me permet de créer ma propre matière et ses rendus très originaux. Le plus dur n’est pas la réalisation ; depuis vingt ans je tricote huit heures par jour. C’est la réflexion lors de la conception de mes recherches, le comportement des fils quand ils se juxtaposent qui est plus complexe. Les volumes étonnants sont dus à mon audace et ma naïveté. Je ne m’impose pas de limite et je n’ai pas peur de me tromper, c’est le plus important.
Vos clients vous laissent carte blanche ?
Oui, là est toute la magie de nos collaborations. Quand ils me contactent, il ne s’agit pas d’une simple demande, c’est tout un processus. Je leur montre mes échantillons, le créateur de la maison fait une première sélection qu’il montre à son équipe. C’est ensuite un travail de collaboration… Les créateurs apprécient ce processus d’expérimentation, qui est seulement possible dans la haute couture. Ils sont toujours très heureux de travailler avec moi et j’en suis très reconnaissante.
Avez-vous songé à créer votre propre marque ?
Je suis très heureuse aujourd’hui, alors pourquoi changer ? (Rires.) Je reste chef d’entreprise, je dirige actuellement quatre personnes que j’apprécie beaucoup. Travailler avec beaucoup de créateurs me permet d’avoir une grande diversité créative. J’ai une belle position, j’ai peu de concurrents, car j’ai la chance de pratiquer une technique, la maille, qui n’est pas très connue. Les marques qui cherchent l’innovation et une modernisation des codes dans la haute couture ou dans le textile se retrouvent donc dans mon travail. Au-delà de l’univers de la mode, ma place me permet même de travailler avec des acteurs tels que l’automobile : depuis 2014, je travaille avec Citroën. Bien entendu, ce ne sont pas des voitures de série, mais des concept cars. C’est un honneur, car ces conceptions demandent beaucoup d’exigence, tout doit être parfait. C’est comme si un seul look était présenté à un défilé. (Rires.)
Comment définiriez-vous votre travail en quelques mots ?
Innovation, expérimentation, collaboration et communication.
Propos recueillis par Pauline Trefzer
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