Un César d’honneur pour Cate Blanchett ! Voilà qui nous a mis du baume au cœur. Comme si la seule présence de cette immense dame du cinéma, avec son intelligence au-dessus de la mêlée, son fascinant magnétisme, était déjà une promesse de bonheur. Comme s’il suffisait d’un gros plan sur elle pour nous rendre heureux. Son sourire de féline, l’éclat magique de son regard aigue-marine, plein d’étoiles, le blond glamour et son teint de rose… «Un effet spécial à elle seule», a dit un jour un journaliste à propos de cette lumineuse merveille de femme, qui, à 52 ans, semble rajeunir sans cesse. Et cette élégance, digne des plus grandes déesses hollywoodiennes ! Lorsque l’animateur Jimmy Fallon l’interrogeait sur le trophée honorifique que lui décernait l’hexagonale Académie des César, elle s’exclamait joyeusement : «Le cinéma français m’a tellement influencée ! N’importe quel film avec Isabelle Huppert… Je suis super contente de recevoir ce prix pour l’ensemble de ma carrière !»
Et quelle carrière ! De ses débuts de «jeune fille brouillonne et terrifiée par les femmes sophistiquées», comme elle dit, le parcours est vertigineux. «Je suis née à Melbourne, mon père était texan et ma mère australienne. Juste avant d’entrer à l’université pour étudier les beaux-arts, j’ai voyagé pendant un an. En Italie, je dormais dans des couvents, j’étais fascinée par les nonnes.» En Égypte, elle a fait de la figuration dans un film sur la boxe ! Lorsqu’elle revient en Australie, elle découvre sa vocation : le théâtre. Alors que monte la vague des stars australiennes, les Nicole Kidman et Russell Crowe, elle sort diplômée de l’Institut national d’art dramatique de Sydney. Le cinéma ? « Franchement, je pourrais arrêter le cinéma. Je serais aussi heureuse en restant à la maison à tricoter», affirme la divine, qui, contre toute attente, se montre volontiers potache, pleine d’espièglerie, et très rock’n’roll. N’oublions pas qu’elle a joué le rôle de Bob Dylan ! «Mais l’envie de transcender est toujours plus fort. Devenir actrice m’a stabilisée. Le mystère et l’imprévisibilité de ce métier me conviennent bien. Être actrice consiste avant tout à ne pas s’intéresser à soi, mais à prendre le point de vue d’une galerie de personnages que je trimballe avec moi. Ce que j’aime avant tout, c’est aller à contre-courant.»
A quel moment les rôles d’un acteur se confondent avec sa vie ? Deux Oscars (meilleur second rôle en 2005 pour The Aviator, meilleure actrice en 2014 pour Blue Jasmine), quatre enfants (trois fils aujourd’hui ados et une petite fille adoptée), un mari qu’elle qualifie de «légende» : le sympathique scénariste et metteur en scène Andrew Upton, avec lequel elle a dirigé la Sydney Theatre Company. Conquérir Hollywood et s’en tenir éloigné – moitié dans la banlieue pittoresque de Sydney, moitié en Angleterre – n’est donné qu’aux plus grands. Et tous ces paris fous et impossibles d’actrice caméléon, à commencer par celui, somptueux, de la reine Elizabeth, rôle qui allait la sacrer sur la scène internationale à 29 ans. Et la propulser chez Todd Haynes, Jim Jarmush, Woody Allen, Martin Scorsese, David Fincher, Terrence Malick… Ce qui ne l’a en rien empêchée de conquérir le cinéma grand public ! La trilogie du Seigneur des anneaux et Le Hobbit, bien sûr, mais aussi Indiana Jones et le royaume du Crâne de cristal, Thor : Ragnarok (rôle de créature maléfique plébiscité par ses fils), Ocean’s 8, Cendrillon, plusieurs films d’animation…
L’an dernier, Cate Blanchett défendait avec fougue un premier film, Apples, pour aider son réalisateur. Cette année, elle nous a déjà bluffés dans deux rôles chocs : animatrice de télévision trop bronzée et dents ultra-bright dans Don’t Look Up, d’Adam McKay. Et femme ultra-fatale, boitant et embobinant Bradley Cooper, dans Nightmare Alley, de Guillermo del Toro. Deux films nommés aux Oscars. On la reverra également bientôt dans Borderlands, de la science-fiction signée Eli Roth, qui l’avait déjà dirigée dans le film pour enfants La Prophétie de l’horloge. Et dans Tár, de Todd Field, où elle joue une femme chef d’orchestre. «Je ne choisis pas mes rôles, ils me choisissent. Bien sûr que j’ai eu très envie de donner la réplique à Bradley Cooper ! Mais, au bout du compte, c’est toujours le réalisateur d’abord. Lorsque quelqu’un comme Guillermo, pour qui j’ai aussi fait une voix dans Pinocchio, me contacte, je fonce ! Ce sont les metteurs en scène qui provoquent l’élan, le désir d’une rencontre, l’envie de s’immerger dans leur monde et d’en revenir plus vaste.»
Parmi ses rêves de cinéastes, deux sont en train de se réaliser. Cate Blanchett sera l’héroïne du premier film en anglais de Pedro Almodóvar : Manuel à l’usage des femmes de ménage, d’après le roman de Lucia Berlin : l’histoire d’une femme qui a connu mille vies. Et, après avoir travaillé avec les deux autres amigos, Alejandro González Iñárritu (Babel) et del Toro, elle tournera sous la direction d’Alfonso Cuarón dans la série Disclaimer : elle y sera une journaliste lanceuse d’alerte, menacée lorsque ses propres secrets sont révélés par un romancier joué par Kevin Kline. Cate Blanchett coproduit ces deux projets via sa propre compagnie de production, Dirty Films.
C’est aussi sous cette bannière qu’elle produisait et interprétait, il y a deux ans, deux séries reflets de son engagement humanitaire : Mrs. America et Stateless. La première traitant de plein fouet du féminisme. Cate Blanchett, faut-il le rappeler, est l’une des grandes figures de #Mee Too à Hollywood. L’autre série, d’après une histoire vraie, dénonçant la politique d’immigration de l’Australie. «Plus le monde régresse, plus je me dois de m’engager, dit celle qui a été nommée ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 2016. Il faut garder espoir, particulièrement pour la jeune génération, mais, et c’est pareil pour le climat, je suis atterrée par le combat à mener. Lorsque nous tournions Don’t Look Up, nous n’avions pas réalisé à quel point notre satire était en train de devenir un documentaire réaliste !» Et si Cate Blanchett, lorsqu’elle présidait Venise, avait choisi de ne porter que des tenues “recyclées”, ce n’était pas pour faire la morale. «Pour inciter chacun de nous, insiste-t-elle, quand nous le pouvons, à faire notre part.» Les pieds dans la réalité, la tête dans les étoiles ! Aux dernières nouvelles, miss Blanchett devrait ajouter une galerie d’art privée à son manoir victorien dans le Sussex. Une aile en remplacement d’un vieux cabanon, avec préservation des chauves-souris qui y logeaient… Ce nouvel édifice, dédié à la collection d’art contemporain de l’actrice, comprendra aussi un espace de méditation et un studio pour ses répétitions. Quand on vous dit que Cate Blanchett est un peu rock star !
Juliette Michaud
Photographie principale par Michele Aboud
Kate Blanchett a joué aux côtés d’Isabelle Huppert au théâtre à New York dans «Les Bonnes», de Jean Genet.
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