Cérémonies olympiques, 26 juillet 2024. Perchée sur la nef du Grand Palais ruisselante de pluie, Axelle Saint Cirel a le monde à ses pieds. Sublime dans sa robe couture à traîne en crêpe de soie blanche et rouge signée Christian Dior. Dès qu’elle égrène les premières notes de La Marseillaise, le public est conquis, hypnotisé par la prouesse vocale de cette Marianne charismatique au teint d’ébène.
«J’ai reçu une avalanche d’amour dans les messages qui m’ont été adressés, s’exclame Axelle Saint-Cirel, encore tout émue à l’évocation de cette prestation qui a modifié le cours de son destin. Le tableau imaginé par le metteur en scène Thomas Jolly a fait l’unanimité, et c’est une grande fierté !» Que ceux qui crient à l’opportunisme remisent leur aigreur au vestiaire, la mezzo-soprano, 30 ans à peine, a prouvé depuis qu’elle avait de la ressource, abordant tous les registres musicaux – opéra, pop, chanson française – avec une aisance rare.
De Saint-Saëns à Rossini, en passant par John Lennon et Jevetta Steele et son fameux Calling You (Bagdad Café), qu’elle a interprété à Montpellier lors du dernier show des Enfoirés. «J’ai cette dualité en moi», avoue Axelle, qui a toujours chanté un morceau de jazz à ses examens. Trop de gens se sentent illégitimes dès qu’il s’agit de musique classique. Elle n’est pourtant pas réservée à un public élitiste, et, même en étant afro, on peut s’autoriser à explorer le chant lyrique.»
Regard vibrant, rire cristallin, quand la volubile Axelle parle de son art, sa flamme n’a rien à envier à celle des Jeux olympiques : «Chanter est pour moi un moment d’unité profondément humain. J’aime aller chercher tout ce qu’il y a de plus fort, de plus beau et de plus fragile en moi pour toucher le public.»
De ses origines guadeloupéennes et de son enfance passée en Malaisie, elle ne garde que de doux souvenirs. «Le brassage multi-culturel et multisensoriel dans lequel j’ai baigné a éveillé ma curiosité et formé mon oreille musicale. C’est une grande richesse.» A la maison, la musique est omniprésente et Mme Saint-Cirel a un truc pour tirer ses trois filles hors du lit : «Elle disposait un poste de radio au carrefour de nos portes de chambres, et, tant que nous n’étions pas levées, elle le laissait allumé. On se réveillait au son de Vivaldi, Bach, Kassav ou Michael Jackson. Résultat, c’est le chaos dans ma playlist !» Mahler y côtoie aussi bien Rachmaninov que Stromae, Solann, Billie Eilish ou Linkin Park.
«Chanter est pour moi un moment d’unité profondément humain. J’aime aller chercher tout ce qu’il y a de plus fort, de plus beau et de plus fragile en moi pour toucher le public.»
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Lorsque sa famille déménage à Exincourt (Doubs), la transition est brutale. En classe, l’arrivée de cette gamine noire de 8 ans, qui a appris dès son plus jeune âge à maîtriser l’anglais, le français et le chinois, détonne. Mais la musique adoucit les angles. Axelle parvient à la fois à se faire accepter et à réaliser son rêve : entrer au conservatoire. A 9 ans, elle intègre celui de Montbéliard, où sa voix ne laisse personne indifférent. «Je chantais juste et je retenais vite.» Entrée au Pôle supérieur d’enseignement artistique de Boulogne-Billancourt en 2017, elle intègre deux ans plus tard le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, puis remporte le concours Voix des outre-mer en 2023. De là datent ses premières participations à des émissions de télévision, «Le Grand Echiquier» ou encore «Culturebox», animé par Daphné Bürki, qui soufflera son nom pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
En recevant, au printemps 2024, un message lui demandant si elle serait disponible pour chanter La Marseillaise en soliste sur le toit d’un monument national dont on ne pouvait pas encore lui révéler le nom, Axelle pense à une blague. Aussitôt, le doute levé, elle fonce. «Je suis une aventurière. L’inconnu ne me fait pas peur. Cette Marseillaise a été un énorme feu d’artifice !»… et un formidable accélérateur de carrière. En mai prochain, elle sera à l’Opéra de Toulon dans La Belle Hélène, d’Offenbach, à la Philharmonie de Paris le 2 juin, avec la pianiste Khatia Buniatishvili, et elle participera en août prochain au Young Singers Program du Festival de Salzburg.
Si la talentueuse Axelle jubile de «creuser petit à petit son sillon dans le milieu opératique», elle n’en travaille pas moins d’arrache-pied pour atteindre l’excellence. «Chanteuse d’opéra est un titre qui se mérite !» On n’en doute pas une seconde, son jour de gloire va arriver.
Patricia Khenouna
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