Tiffany Bouelle incarne une nouvelle génération d’artistes qui navigue entre les médiums, les cultures et les univers, collaborant aussi bien avec de grandes maisons de luxe qu’avec des institutions artistiques de renom. Rencontre avec une artiste habitée par une vision à long terme et une soif inépuisable de création.
Vous explorez de nombreux médiums, mais vous vous présentez avant tout comme peintre.
Je suis profondément amoureuse de la peinture. Pourtant, c’est un médium qui m’a longtemps intimidée. Grandir avec Delacroix et Géricault en référence, ça peut être paralysant !
Et puis, quand j’ai quitté la maison familiale, je n’avais pas les moyens d’investir dans du matériel. Ce n’est que vers mes 25 ans que j’ai pu commencer à peindre. Aujourd’hui, c’est devenu un geste quotidien. Je travaille principalement à l’acrylique, une technique rapide qui correspond à mon tempérament impatient.
Votre histoire familiale franco-japonaise nourrit visiblement votre œuvre…
J’ai grandi à Paris dans une famille passionnée d’art, entre un père français, artiste, et une mère japonaise, styliste. L’art médiéval, les collections du Louvre, les contes folkloriques français et japonais… cette éducation artistique irrigue profondément mon travail.
Mon grand-père maternel m’a aussi initié très tôt à la calligraphie. Dès l’âge de 7 ans, je passais les mois d’été avec lui au Japon. Il m’achetait du matériel, me montrait les gestes.
Un tournant majeur semble s’être opéré quand vous êtes devenue mère.
A mes débuts, on a souvent comparé ma peinture à celle d’autres artistes, ce qui pouvait être frustrant. Le confinement a constitué un premier tournant : mon geste s’est fait plus brut, plus instinctif. Mais c’est la naissance de mon fils qui a provoqué une transformation radicale, comme si cette métamorphose en tant que femme me décomplexait artistiquement. J’ai commencé à développer une technique picturale très personnelle qui donne au tableau un aspect proche du collage ou de la marqueterie.
Ma dernière exposition, au Drawing Lab à Paris, était aussi très liée à ma maternité. C’était une galerie d’obsessions enfantines peintes à très grande échelle, à la manière des livres d’images éducatifs. Certains artistes font des recherches ; moi, j’ai observé mon enfant ! Et ce choix-là me semble être un acte féministe.
Vous vous mettez en scène sur les réseaux sociaux…
L’image de l’artiste fascine et prête souvent à la caricature. J’aime en jouer en publiant des scènes de mon quotidien à l’atelier. Ce personnage que je construis en ligne, productif, obsessionnel, reflète une réalité : je suis une travailleuse acharnée. Mais Instagram est pour moi un théâtre. Je contrôle mon image de façon minutieuse, non par simple souci de communication, mais comme une stratégie artistique : je cherche à créer une forme d’obsession autour de mon œuvre.
Mon utilisation des réseaux sociaux interroge le voyeurisme de notre époque et joue de la désirabilité dans un monde de consommation constante. C’est ma façon de m’adresser à la génération qui fera le marché de demain.
Vous collaborez souvent avec des maisons de luxe. Comment considérez-vous ces projets ?
Je distingue mon travail personnel de ces projets collaboratifs. La peinture est une carte blanche, née de la solitude en atelier. Les collaborations, elles, sont des constructions collectives, structurées autour d’une vision partagée. Les deux sont essentielles à mon équilibre.
Après avoir réalisé une installation pour les vitrines Hermès, j’ai conçu cette la décoration et les uniformes pour la loge du groupe Accor à Roland-Garros. Ce sont d’autres manières de faire ce que j’aime.
Propos recueillis par Manon Demurger