Depuis plusieurs années, l’artiste photographe franco-allemand Chris Morin-Eitner travaille sur une série intitulée «Il était une fois demain». Critiques de l’architecture contemporaine et des excès de l’urbanisation, ces images de cités vides d’êtres humains résonnent étrangement pendant cette période de confinement.
Il y a de drôles de zèbres, très graphiques, devant Beaubourg. Le parvis du musée parisien ressemble à une savane. On pourrait croire à une installation artistique, réelle, telle un Paris Plage un peu saharien dramatisant le réchauffement climatique. Cette image (Paris, Pompidou Savane, 2011), est une des compositions numériques de l’artiste-photographe Chris Morin-Eitner. Il joue là avec un des bâtiments de Paris qu’il aime, le Centre Pompidou, délaissé, pour le taquiner avec des animaux à rayures.
Dans la série « Il était une fois demain », ce manipulateur fait subir de drôles de traitements à différentes mégalopoles de la planète. À chaque fois, un bâtiment icône, historique ou contemporain, est remis en scène, à l’état de ruine sublimée, complètement envahi par une forêt vierge aimable, des animaux sauvages apaisés, des oiseaux joyeux, des fleurs colorées.
Des villes telles des « Belles au bois dormant » pétrifiées dans la verdure. Comme les ruines des temples d’Angkor transpercées et transfigurées par les arbres, des œuvres d’art mutantes, toujours vivantes. L’Arc de Triomphe parisien se prosterne devant une immense forêt dense. La Tour Eiffel, le Tower Bridge de Londres, le pont de Brooklyn et les tours de New York dégoulinent de verdure, ou de lianes, se mirant dans des lacs de nénuphars ou des fleuves agités d’oiseaux voletant.
Si on se prend au jeu des extrapolations futuristes de Chris Morin-Eitner, c’est qu’il n’édite pas des tracts. Ses images de rebuts sont aussi des rébus, ouvertes à l’interprétation, où l’humour se niche dans les détails. Il s’amuse à frôler le kitch répétitif, l’ornemental fleur-bleue. Dans ses jungles, il sème des petits cailloux pour que l’on s’y retrouve, on ne les repérera pas tous. Comme un de ses palmiers fétiches, en forme de paon, omniprésent, sur les toits de Londres ou de New York. Ou comme ses éoliennes résistantes, moqueuses, autant de petits moulins-à-vent d’un Don Quichotte du XXIe siècle. Ou encore ses serpents invisibles qui ne seraient plus venimeux. L’artiste nous entraîne dans ses songes, des fables où il nous transformerait bien en gazelles roses et libres qui ne seraient plus traquées par la loi du plus fort. Des contes où se glisse sa part d’enfance non vaincue, sa « forêt des paradoxes » personnelle où il aimerait se promener, entre grandes frayeurs et petits bonheurs.
Anne-Marie Fèvre
Chris Morin-Eitner est exposé en permanence à la galerie W. et de nouvelles pièces seront présentées au printemps.
5 rue du Grenier-Saint-Lazare Paris 3ème
www.galeriew.com