Kate Pincus-Whitney est une jeune artiste californienne née en 1993 qui vit et travaille à Los Angeles… et ne peint, dans des couleurs éclatantes, que des tables encombrées de nourriture, plats cuisinés, bouteilles, livres et objets divers. Ne nous y trompons pas, ces tables ne sont pas de simples hommages au bien-manger, mais des récits. Ces natures mortes sont très vivantes. Ces tableaux sont des cartes postales intimes, des collages sur table, des messages codés… l’artiste nous parle d’elle. Ces tableaux sont des autoportraits en rébus. L’artiste se raconte dans ces accumulations savamment choisies : elle peint ses souvenirs, ses plaisirs, ses émotions, ses appétits, ses icônes… Kate Pincus-Whitney a été élevée par sa mère et sa grand-mère, principalement dans la cuisine, où les deux femmes célibataires passaient le plus clair de leur temps. La table est mise, le dialogue peut commencer.
Pourquoi cette obsession de la table ?
J’ai eu une enfance où toute la vie tournait autour de la table. La nourriture est un langage que j’ai appris très tôt, non seulement comme moyen de subsistance, mais aussi comme moyen de donner un sens à la vie. Dès mon plus jeune âge, j’ai appris à explorer le monde à travers le prisme de la tête, du cœur… et de l’estomac. Pour moi, la table est une sorte de scène théâtrale où se côtoient la vie et la mort. Pour moi, la table est l’un des lieux les plus personnels et pourtant universels que nous partageons.
Ces «paysages de table» sont-ils des paysages mentaux : une accumulation de signes, de souvenirs, de désirs, de regrets, de dégoûts, de désirs… ?
Absolument. J’aime beaucoup l’idée que le paysage mental soit construit à partir de cette vaste superposition de détritus qui remplissent notre vie. Ce sont des portraits narratifs. Je crée des diagrammes presque hermétiques par la disposition d’objets qui ont une histoire chargée et des références personnelles. Par exemple, une bouteille de Lillet n’est jamais simplement une bouteille d’alcool : pour moi, elle représente ma relation et capture les souvenirs de ma grand-mère. Avec chaque «bouchée visuelle», le spectateur est capable de retrouver ses propres souvenirs et de commencer à déballer les récits mythiques et personnels cachés dans chaque peinture. Au lieu d’être une simple nature morte, la table devient une scène : un portrait actif sur les plans symbolique, mythique, métaphorique, métaphysique, alchimique, poétique, politique et personnel. Je pense aussi que ces œuvres, en ces temps de Covid, des peintures qui représentent des cérémonies, des fêtes, sont des célébrations de la vie et de la résilience. Nous avons appris, partout dans le monde, la nostalgie des êtres chers perdus et de leur place vide à la table. Nous avons faim de connexions.
Pourquoi les couleurs sont-elles si vives ?
Je vis pour la couleur. Je suis totalement abasourdie par le pouvoir de la couleur. Je crois vraiment que la couleur est un langage, qu’elle est capable de communiquer à un niveau qui lui est propre, d’une manière que les mots ne peuvent pas faire. Comme l’a dit Henri Matisse : «Dès l’instant où j’ai tenu la boîte de couleurs dans mes mains, j’ai su que c’était ma vie. Je m’y suis jeté comme une bête qui plonge vers ce qu’elle aime.»
Vous aimez manger ?
Oh oui, vraiment ! Je vis pour manger, et je peins de la même manière que je cuisine. Enfant, j’ai eu la chance d’avoir une mère artiste et une grand-mère qui était un chef cuisinier très doué. Tout tournait autour de la nourriture. L’acte de manger est la manière la plus intime d’apprendre à connaître un lieu ou une personne, mais surtout soi-même.
Propos recueillis par Claude Maggiori
La première exposition en Europe de Kate Pincus-Whitney, «Paradise à la carte», est présentée cet automne 2021 à la galerie GNYP, à Berlin (Allemagne).
Kate Pincus-Whitney a été choisie pour: « Forbes 30 under 30 class of 2022 for Art and Style »
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