Il vient de consacrer cinq ans à réaliser son De Gaulle, la plus grosse production française de 2026, programmée en deux parties. Bientôt, la promotion de son Général aura pris le pas sur tout le reste. En attendant, avec son air de gamin à qui rien n’est impossible, il me reçoit en chaussettes. C’est parti pour la vie géniale d’Antonin Baudry.
Antonin a 3 ans quand, après un divorce, son père s’installe juste à côté, dans un micro-appartement qu’il agrémente d’une petite télé carrée et d’un magnétoscope. Ils passent leurs week-ends, jour et nuit, à regarder des films. Cependant, sa passion, ce sont les maths. Sorti de Polytechnique, direction la recherche, il trouve vite qu’il risque de passer à côté de sa vie sans pour autant être meilleur qu’un autre dans ce domaine.
Alors, il bifurque vers l’ENS et ajoute à son parcours de lettres et philo un master de cinéma. Il produit des courts-métrages lorsque Dominique de Villepin l’appelle. Ministre des Affaires étrangères, il cherche des plumes pour ses discours. Antonin y voit l’occasion d’«apprendre un peu le fonctionnement du monde» afin de nourrir ses futurs scénarios. Il compte plonger dans la diplomatie pendant un an. Avec la crise irakienne, il se retrouve au cœur d’une épopée : la préparation du discours historique de 2003 à l’ONU contre la guerre. Il suit Villepin cinq ans, place Beauvau et à Matignon.

Tournage du film De Gaulle d’Antonin Baudry
Puis, une opportunité offerte à sa femme, spécialiste du Siècle d’or espagnol, les conduit à Madrid, où lui est bientôt proposé le poste de conseiller culturel. Depuis toujours, Antonin rêve d’écrire une BD. Sa fiévreuse aventure politique sera son sujet. L’univers de son dessinateur préféré, Christophe Blain, n’est jusqu’ici peuplé que de pirates et de cowboys. Qu’à cela ne tienne ! Il s’arrange pour le rencontrer. Il met six mois à le convaincre et, à eux deux, presque autant à entraîner Dargaud dans cette BD documentaire contemporaine, genre alors pratiquement inédit. Les deux volumes de Quai d’Orsay s’écoulent à 500 000 exemplaires, font connaître Antonin sous le nom d’Abel Lanzac, et mène Blain sur la route d’Un monde sans fin avec Jancovici.
Entre-temps, appelé à la même fonction à New York dans un des plus beaux hôtels particuliers de la Ve Avenue, on lui donne pour première mission de vendre cet immeuble légendaire. Pas d’accord avec cette mauvaise idée, il décide de le rentabiliser en le transformant en la librairie française de la ville (tous les New-Yorkais connaissent aujourd’hui la librairie Albertine). Il est en train de la décorer avec Jacques Garcia quand Bertrand Tavernier, qui lui a annoncé vouloir adapter sa BD, le rappelle : «Je suis à l’hôtel à côté de chez vous. On se met au boulot ? – Mais j’ai un travail ! – Vous travaillez le jour, pas la nuit ? Moi, je m’adapte : on travaillera la nuit.» Blain les rejoint.

Bande dessinée «Quai d’Orsay» d’Antonin Baudry et Christophe Blain par Dargaud
En un mois, le scénario est bouclé. Sa mission new-yorkaise terminée, Baudry participe au tournage. Tavernier lui explique tout : «Tu la mettrais où, la caméra ? Là ? Tu fais exactement la même erreur que Howard Hawks à la fin de L’Or maudit… Je te le passe, regarde-le cette nuit, tu vas comprendre ta connerie !» A la fin, il a l’impression d’être prêt à tourner. Tourner quoi ? «Une comédie médiévale avec Jamel Debbouze» ! Il poursuit : «On adorait travailler ensemble, mais Jamel était sur vingt projets à la fois. L’argent commençait à descendre, une petite inquiétude à monter, lorsque mon ancienne secrétaire m’a téléphoné : “Antonin, je suis en ligne avec un homme qui me dit qu’il est commandant de sous-marin. Il veut vous inviter dans le sien.”» Cinq minutes plus tard, «une voix hyper virile» lui déclare : «Je veux vous faire découvrir le quotidien des hommes qui assurent la dissuasion de ce pays.» Au lieu d’attendre Jamel, pourquoi ne pas passer trois jours dans un sous-marin, en effet ?
A peine immergé, il est saisi par l’atmosphère, les sons, les interactions. Il lâche : «D’accord, je vais faire un film.» Panique chez le commandant. En fait, son équipage partait en mission avec quelques livres et BD. Il trouvait juste sympa que la sienne soit dédicacée. Trop tard. Quai d’Orsay, avec Raphaël Personnaz, Thierry Lhermitte et Niels Arestrup, avait déjà cartonné. Le Chant du loup, où Mathieu Kassovitz, Reda Kateb et Omar Sy soutiennent les débuts de François Civil, pulvérisera le box-office.
Parti faire un break à New York à la sortie du film, Antonin laisse son portable pour aller marcher avec ses meilleurs amis, qui le chambrent : «Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? – Un opéra !», blague-t-il. En rentrant, un message de la cheffe d’orchestre Laurence Equilbey (qu’il ne connaît que de nom) lui propose de mettre en scène quatre pièces de Schumann (à l’une desquelles ils ajouteront en douce un morceau de harpe…).
Antonin Baudry est doté de ce type de cerveau alerte et disponible qui rend la providence hyperactive. Mais si elle joue pour lui, c’est aussi que ses principaux sujets relèvent d’intuitions stables. Ils tournent autour de personnalités rebelles et créatives qui vont contre la marche inexorable du monde. En déjeunant avec Jérôme Seydoux pour un nouveau projet – de science-fiction –, ils s’aperçoivent qu’ils lisent le même livre, De Gaulle. Une certaine idée de la France, de Julian Jackson. «Qu’en pensez-vous ? – Que ça ferait un bon film… Non, deux bons films.» Que racontent-ils, ces deux De Gaulle portés par Simon Abkarian, Thierry Lhermitte, Niels Schneider, Benoît Magimel, Karim Leklou, Anamaria Vartolomei ? Comme Le Chant du loup, l’histoire d’un ordre et du choix de le contrer.
Aussi, une exceptionnelle faculté de faire autrement, une énergie phénoménale pour embarquer les autres, sortir des sentiers battus, réaliser l’irréaliste. Nous sommes en 1940. Pétain a capitulé. La France est occupée et tous ses généraux résignés. Tous ? Non. Un seul, plus jeune, inconnu, veut résister à l’envahisseur. C’est ce que Churchill attend depuis des mois. Au début seulement suivi d’une poignée d’irréductibles, «des types en marge de la société, des garçons intrépides, des aristocrates un peu braques, des fous furieux, des branquignols», de Gaulle fédère la Résistance qui rendra la France libre.
Et moi, ce que je me dis, c’est qu’à aujourd’hui 50 ans, pile l’âge du général en 1940, il aurait pu en être, de cette troupe, Antonin Baudry. Et vive la République, vive la France, et vivement ce de Gaulle anticonformiste !
Sabine Euverte
La librairie Albertine, bien sûr en référence à Proust, sur lequel portait son mémoire.
Image principale : Antonin Baudry par ©Julien Panié
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