«Et le César du meilleur espoir féminin est attribué à… Hafsia Herzi !» Sa danse du ventre sur la péniche de La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche nous avait tous subjugués, rendant aussitôt le film culte. Chancelante, elle remerciait à travers ses larmes. Elle avait tout juste 21 ans, une présence et une beauté renversantes. Meilleur espoir féminin… Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas démérité, Hafsia, toujours aussi splendide et aujourd’hui souveraine.
A 38 ans, quarante films dont trois comme réalisatrice, c’est plus qu’un parcours admirable, déjà une œuvre, tendre, crue, puissante, moderne, libre, et récompensée cette année par un doublé inédit. César 2025 de la meilleure actrice pour Borgo, trois mois plus tard, elle présente en effet à Cannes, en tant que réalisatrice, un autre film qui vaut à sa jeune actrice le prix d’interprétation féminine. Cette jeune première, c’est Nadia Melliti, et ce film, La Petite Dernière.
Fatima Daas
«Après la sortie de mon premier long- métrage, j’ai été contactée via mon agent par une productrice qui avait pensé à moi pour adapter ce livre, La Petite Dernière. J’ai découvert une écriture très moderne, riche, généreuse. L’autrice expliquait qu’elle avait écrit ce roman autobiographique parce que, plus jeune, elle n’arrivait pas à s’identifier dans la littérature. Son personnage, ce qu’elle vivait, tiraillée entre sa foi musulmane, sa famille et le désir de vivre son homosexualité, n’existait pas. C’était pour elle un devoir de l’écrire. Ça a été pour moi un devoir d’en faire un film. Comment assumer cette identité dans un milieu qui n’y est pas préparé ? Chez les chrétiens, la question peut se poser aussi, elle est universelle. J’admire son talent, son intelligence, son courage. Surtout, elle est sans filtre, ce que j’adore. Les livres, j’aime quand on les visualise. Avec elle, c’est immédiat. Son deuxième roman, Jouer le jeu, sorti récemment, est excellent. On reconnaît sa patte tout en sentant une vraie évolution.» – Vous allez l’adapter ? «Je ne sais pas… Après La Petite Dernière, j’ai reçu trois propositions d’adaptation par semaine. Cela dit, elle a vraiment un truc à elle. C’est une jeune autrice à suivre.»
Grégory Weill
«Mon agent depuis toujours. Je l’ai croisé à la Mostra de Venise après La Graine et le Mulet, et, très vite, on a décidé de travailler ensemble. Je ne sais pas s’il appréciera de se retrouver ici – il n’aime pas trop qu’on parle de lui –, mais c’est un métier qu’on ne met pas tellement en avant, je trouve, et lui, il est l’un des plus forts de la capitale. Il représente de nombreux artistes, et il est toujours disponible, présent pour chacun et chacune. On lui doit beaucoup. Je lui dois beaucoup. C’est quelqu’un de grand conseil. J’ai refusé certains films
sur son avis. A l’inverse, sur cette adaptation, j’ai traversé une période de doutes, de pressions, je commençais à m’inquiéter, j’avais peur de décevoir l’autrice. Il m’a encouragée. Derrière nous, il y a des métiers, des gens très importants, le service juridique qui règle les contrats… Avec toute l’agence Adéquat, c’est aussi toute cette protection qu’il apporte. »

©Abaca Press/Alamy
Géraldine Nakache
«Quand elle a sorti Tout ce qui brille, j’avais validé un court-métrage. Un long, j’avais conscience que c’était beaucoup de temps, d’énergie. Elle fait partie des réalisatrices qui m’ont donné envie d’aller jusqu’au bout. Comme on sait le travail que ça représente, on s’admire un peu les unes les autres. C’est une actrice, une réalisatrice, une femme formidable, très sensible. Je suis son parcours. On ne fait que se croiser, tellement c’est la course. Le peu de temps que j’ai, je le passe avec mes proches, mais on se parle parfois au téléphone.» – De cinéma ? « Franchement, non. Des enfants, de la famille.» – Vous n’avez jamais tourné avec elle ? «Non, mais j’aimerais bien.» –Inversement, vous allez la prendre dans un de vos films ? «Pourquoi pas ? Il y a vraiment beaucoup de sympathie entre nous.»
Frida Kahlo
«Magnifique ! Je l’ai découverte au lycée. Avec notre prof de français, on travaillait sur les autoportraits. Son histoire m’a touchée, j’ai fait mes recherches. J’ai trouvé un personnage intrigant et passionnant, aux multiples talents. Avec beaucoup de force, de courage.» – En effet, j’ai regardé, c’est fou, tout ce qui lui arrive ! Elle a la polio, l’abdomen transpercé dans un accident de bus, elle finit amputée… Incroyable, aussi, ce miroir que sa mère fait installer au-dessus de son lit. Vous avez vu ? «Oui, j’ai vu ! C’est peut-être le point de départ des autoportraits ! Tout me parle, chez elle. J’ai donné à mon premier film le titre d’un de ses poèmes : Tu mérites un amour… Peu de gens le connaissaient. J’aime sa façon de parler d’amour. Elle a été une grande amoureuse et a énormément écrit. J’invite tous les gens à se documenter, à connaître, en plus de ses peintures, ses textes. »
Marcel Pagnol
«Un grand metteur en scène, un grand écrivain, un grand monsieur, très généreux. En tout cas, dans ce qu’on en voit. Lui, je l’ai découvert au collège. Il m’a énormément inspirée et il m’inspire toujours. Je crois que c’est un des premiers à avoir réalisé un film parlant. Il me semble même qu’il a remporté un Oscar… (Je vérifie : les NYFCC – New York Film Critics Circle – Awards. Trois fois !) En plus, il est très fidèle, il reprend les mêmes acteurs dans d’autres rôles. Quand des jeunes me posent la question, je leur conseille
de le lire et de regarder ses films. Marius, par exemple, est à découvrir.» Marius, Pagnol, c’est aussi Marseille, où elle a grandi avec sa fratrie et sa mère, à qui elle a dédié son deuxième film : Bonne mère. Elle la cite lorsqu’on lui demande une «héroïne contemporaine». Elle en est une aussi, Hafsia, sur tous les plans. On l’a présentée comme «la première actrice racisée» à remporter un César. Si elle est fière de ses origines (mère algérienne, père tunisien), née en France, elle se sent en même temps complètement française. C’est d’ailleurs le titre d’un des films où elle joue. Et un vrai rôle qu’elle tient dans la société actuelle.
Sabine Euverte
Image principale : ©Chloé Carbonel
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