Sa mère l’emmenait à des expos, son grand-père, vétérinaire, était très doué pour le dessin : il adorait ça, et Cédric Peltier adorait le voir faire, mais lui ne dessinait pas. Cet artiste singulier, aux réalisations époustouflantes, voulait être journaliste sportif…
Vous avez toujours souhaité être peintre en décor ?
J’ai fait des études littéraires pour devenir journaliste sportif… mais finalement j’ai eu envie de faire quelque chose de mes mains. J’ai fait une école préparatoire aux écoles d’art. Je n’avais pas d’habileté particulière, mais je m’en sortais un peu mieux que mes camarades, sans pour autant crier au génie. J’ai passé deux fois le concours de l’Ecole Boulle… refusé deux fois. Alors j’ai intégré l’école Van Der Kelen à Bruxelles.
Quelle a été votre première réalisation ?
La toute première… c’est sur le mur de ma chambre. J’avais autour de 19 ans, c’était la reproduction d’une estampe tirée d’un livre, L’Enfant qui dessinait des chats. Très naturellement, il y a eu une envie d’aller vers le grand format. Je me suis très vite senti à l’aise avec les proportions, avec le traçage à main levée, sur un mur de trois mètres. Cette sensation de confort dans l’inconnu m’a fait croire que j’étais au bon endroit, au bon moment. Quand le premier truc qui sort de vous est une fresque, vous avez l’impression que vous avez trouvé votre mode d’expression idéal. Il y a un aspect très corporel quand on travaille sur du grand format, on engage son corps, et, mon corps, je le connaissais bien grâce à la pratique sportive.
Ne vous êtes-vous pas toujours préparé à ce métier, même quand vous pensiez devenir journaliste sportif ?
Après coup, tout devient cohérent et semble suivre une logique. Après l’école, j’ai vécu du côté de La Rochelle dans une réserve naturelle, en pleine forêt : un apprentissage chez un artiste peintre. J’y suis resté six ans. J’ai fini d’y apprendre mon métier de peintre en décor, j’ai appris mon histoire de l’art, copié les maîtres anciens, développé ce côté méticuleux, patient… Et puis je suis parti à Londres. Un décorateur m’a fait aborder la peinture sur mobilier, les scènes ottomanes, Renaissance, des chinoiseries, le travail sur laque… Je suis revenu à Paris avec des contacts, des nouvelles techniques en main et un book plus étoffé.

Vous avez commencé une collaboration avec Pierre Frey ?
Ils ont été emballés par mon travail. Ils m’ont confié plusieurs projets, notamment La Serre, un panneau panoramique qui est devenu l’un de leurs best-sellers. Ça m’a ouvert les portes du showroom des Manufactures Emblem, rue de Grenelle. C’est là que j’ai pu faire ma toute première fresque, qui faisait quand même 26 m2, quatre mois de travail. J’ai peint mon premier paon, mais surtout ma première panthère.
Une première panthère, dans le but d’attirer l’attention de Cartier ?
Complètement ! Cartier, comme Hermès. Ils ont une imagerie très forte, tournée vers un animal de prédilection. C’est arrivé au bon moment, parce que, après quelques années de galère, ma fille s’annonçait, et je me demandais à quoi ressemblerait sa vie sans boulot. Grâce à Cartier, j’ai eu tout le confort et toute la sérénité pour l’accueillir dans les meilleures conditions. Ça m’a permis de travailler très grand, très vite, des matériaux nouveaux, je me suis complètement épanoui.

Pourquoi ces grands formats ?
C’est le bonheur ! J’ai un rapport particulier à l’immensité, à la puissance d’un animal, d’un paysage, une montagne ou un océan. La toile blanche, immaculée, devant soi, avec ses six mètres de long et ses trois mètres quinze de haut, c’est une sensation un peu similaire : j’ai envie de plonger dedans. Le corps entre en action, on met des grands coups de rouleau, de taloche, de pinceau, et petit à petit quelque chose commence à naître. Ça peut durer des semaines avant que quelque chose au fond de cette toile commence à émerger. Après, une fois qu’on a saisi l’essence, c’est presque ennuyeux, il n’y a plus qu’à dérouler.
Le plaisir est-il très différent pour le travail sur commande ?
C’est plus simple au départ, on a un cadre, des contraintes. Mais, après, il y a quelque chose d’assez jouissif : le client a une idée et mes propositions vont lui permettre d’aller plus loin. C’est ce qui me plaît dans le travail de commande : on nous donne la liberté de composer autour d’une idée, de la sublimer. On ne se place pas en artiste à ce moment-là, mais en artisan, on crée une symbiose avec notre client. J’ai réalisé deux commandes pour des clients indiens. Avec eux, le travail ressemblait à de la psychologie, comme s’ils se mettaient sur le divan, qu’ils me parlaient et que moi j’interprétais. Un peu comme un paysage mental. L’un d’eux avait repéré mon premier paon sur la fresque de la Manufacture. Le paon est très présent dans la culture indienne. Il m’a appelé et m’a dit : “Il m’en faut un pour chez moi.”
Combien de temps avez-vous passé en Inde ?
Malheureusement, je ne vais pas sur place. On appelle ça des fresques, mais c’est impropre. On ne peint pas «al fresco» sur enduit à la chaux. On parle de «fresque» parce que ce sont des décors monumentaux. Mais le plus souvent, on peint sur toile, en atelier. Les toiles sont acheminées, déployées puis collées, un peu comme un papier peint, à part que ce sont des œuvres uniques, originales.
Vous ne vous ennuyez jamais ?
Il y a des cycles où on déroule ce qu’on sait faire jusqu’à une maîtrise quasi parfaite et ça conduit à l’ennui, forcément. Alors, on trouve une manière de déjouer la routine. Ces dernières années, j’ai développé d’autres techniques sur d’autres matériaux : la paille, avec Lison de Caunes, le verre pour le paravent The Wale… Ce qui donne un nouveau souffle au plaisir.

Cédric Peltier
Image principale : Cédric Peltier dans son atelier
Propos recueillis par Ellen Willer
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