De son passé à l’Opéra de Paris, Alice Vaillant a non seulement conservé un port de reine et des amitiés à vie, mais une maîtrise des sauts périlleux. N’a-t-elle pas lancé sa propre marque de vêtements de luxe à 24 ans seulement ? A la barre de Vaillant, un nom qui claque comme un credo, cette jeune Parisienne est l’une des étoiles montantes de la planète mode.
Dans son vestiaire hybride où les corps se dévoilent en transparence dans des pièces uniques, fabriquées à la main, Alice révèle sa vision forte, libre et sexy de la féminité. «Je pars toujours du principe qu’un vêtement peut aider à avoir confiance en soi. L’enjeu, dans mes collections, est de trouver le bon équilibre entre des pièces qui marquent les esprits et d’autres que l’on a envie de porter au quotidien.»
Influencée par cette opposition entre le tutu traditionnel, avec son corset doté d’ennoblissements, et le mix des tenues d’entraînements (jogging, tricots, guêtres…) qui lui est familière, Alice manie l’art du contraste à la perfection. Faisant dialoguer indifféremment soie, maille, lycra, jersey, cuir, métal, denim et dentelle, sa matière fétiche. Comme si la douceur avait besoin d’une certaine puissance pour exister. Une allégorie de sa personnalité ? «Probablement», admet-elle en souriant. Avec sa salopette à rayures et sa longue chevelure brune négligemment relevée, on la croirait à peine sortie de l’adolescence.
Née dans un milieu artistique – sa mère n’est autre que la pétillante humoriste Anne Roumanoff et son père, Philippe Vaillant, est producteur de spectacles -, Alice rêve de devenir danseuse. A 6 ans, elle esquisse ses premiers entrechats et passe son temps à croquer des silhouettes. «Ma grand-mère dirigeait une petite compagnie théâtrale. J’étais fascinée par tous les costumes qui encombraient son appartement. C’est elle qui m’a appris à tenir une aiguille. A 9 ans, je cousais les rubans sur mes pointes et je choisissais moi-même les broderies des tenues destinées aux nombreux concours de danse auxquels je participais. Quant à ma découverte du marché Saint-Pierre, à 7 ans, elle m’a fait l’effet d’un électrochoc, avec sa profusion de tissus multicolores !»
« A 9 ans, je cousais les rubans sur mes pointes et je choisissais moi-même les broderies des tenues »
Admise à 11 ans à l’Opéra de Paris, Alice ne ménage pas ses efforts pour atteindre son objectif. Quitte à suivre des cours supplémentaires durant ses jours de congé. Certains événements viennent cependant «déstabiliser» son rêve. Et, à18 ans, elle quitte le Palais Garnier. Espérant qu’en changeant de pays elle pourra ranimer la flamme, elle s’envole pour Montréal. Mais, un mois et demi après avoir intégré l’école des Grands Ballets canadiens, clap de fin. «J’ai pris conscience que c’était la mode qui était faite pour moi. J’ai donc opté pour des études de stylisme.» Après un cursus au Canada et un master à l’Atelier Chardon Savard, à Paris, Alice fait ses premières armes chez Jean Paul Gaultier, puis aux côtés de Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter, chez Nina Ricci.
Et, en 2020, elle se lance. «Au début, je pensais juste faire une collection pour actualiser mon portfolio. Mais, très vite, je me suis donné une chance d’aller plus loin.» Bingo ! L’influenceuse Kylie Jenner la remarque, les tops Bella Hadid et Hailey Bieber s’affichent en Vaillant, les commandes affluent. Pas de quoi tourner la tête de la studieuse Alice pour autant. Son but est clair : ne pas décevoir la solide communauté de femmes qui a adopté ses vêtements, dont le fameux top signature en dentelle de Calais.
«Travailler de manière durable et responsable est une de nos priorités. 30 % de nos pièces sont fabriquées en France (le reste en Europe) et une grande partie de la production provient du recyclage de chutes ou de stocks invendus. Nous sommes d’ailleurs l’un des ambassadeurs Nona Source (plateforme de stocks dormants issus des plus grandes maisons de luxe de LVMH).»
De son premier défilé (printemps-été 2023) dans le cadre prestigieux du Musée Guimet, Alice garde un souvenir bouleversant. Et pas seulement parce qu’un top est sorti à l’envers ! «J’ai failli m’évanouir à plusieurs reprises ! Exprimer le fruit de six mois de travail acharné et de nombreuses années de sacrifice en moins de 15 minutes procure des émotions intenses.» Si cette grande curieuse écoute toutes sortes de musiques, classique, rap, pop… lorsqu’elle crée, elle a besoin de s’enfermer dans une bulle de silence, histoire de convoquer intimement ses sources d’inspiration : l’architecture moderne (fil rouge de sa collection printemps-été 2024), la peinture, les costumes historiques, la photo… Parfois, il lui suffit d’observer une femme dans la rue pour qu’«un détail, une allure ou une façon de porter une chemise» lui souffle une idée.
Dans cet espace du XIe arrondissement où elle a installé son atelier depuis bientôt deux ans et où travaille une dizaine de collaborateurs, elle passe du business à la création avec une agilité déconcertante. «J’ai hérité de ma mère (son indéfectible soutien) une immense force de travail et une sacrée résilience», précise Alice, qui dit avoir beaucoup mûri ces cinq dernières années. Pour sa septième collection (printemps-été 2026), que le public découvrira sous peu, elle s’est appuyée sur les années 1920, une époque marquée par l’émancipation de la femme et le surréalisme. «Il y aura un clin d’œil à Man Ray, de la dentelle brodée, mais aussi un mélange de matières fluides (soie, satin) et de matières plus techniques(jersey).» Avec toujours cette maîtrise instinctive du mouvement.
N’éprouve-t-elle aucun regret d’avoir raccroché définitivement les chaussons de danse ?
«Non, j’ai eu la chance de me produire pendant quinze ans sur la scène d’Opéras prestigieux : à Garnier, Bastille, Versailles… je suis en paix. Et puis, cette nouvelle aventure m’a fait vivre des moments dingues ! Comme quand j’ai découvert que Rihanna allait porter mon fameux top dentelle en ensemble, ou que j’ai eu ma première parution dans Vogue ! Autant d’événements qui donnent des ailes pour se surpasser !» Vaillante, incontestablement.

Alice Vaillant
Patricia Khenouna
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